Noëly URSO est AUE, ABF – Cheffe de service de l’UDAP de Corse-du-Sud, conseillère pour l'architecture, adjointe au DRAC de Corse – Ajaccio.
Entretien réalisé le 7 mai 2021
Comment avez-vous découvert ce métier ?
Avant de découvrir le métier d’architecte des bâtiments de France, j’ai d’abord découvert l’architecture et le métier d’architecte. Après un baccalauréat série arts plastiques, cet art majeur m’a séduite dans le travail de conception et d’innovation qu’il peut offrir mais également dans la rigueur qu’il faut être en capacité de développer pour mener à bien un projet avec un certain sens de l’esthétique. Mes études d’architecture à l’ENSA (École Nationale Supérieure d’Architecture) de Nantes m’ont permis d’explorer également des disciplines jusque-là inconnues comme la sociologie et la psychologie. Elles visent à comprendre comment les sociétés fonctionnent et se transforment et leur interaction avec l’architecture, les modes d’habiter et les modes constructifs.
J’ai pu découvrir le métier d’ABF sur mon précédent poste d’architecte à la ville de Vitré en Bretagne. Vitré est une ville patrimoniale couverte par un secteur sauvegardé et une AVAP (Aire de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine) comptant plusieurs monuments historiques ; il était donc nécessaire de travailler en étroite collaboration avec l’architecte des bâtiments de France.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Après 5 années à suivre les projets de la commune de Vitré aux côtés de l’architecte des bâtiments de France et ses adjoints, j’ai souhaité rejoindre le corps des AUE afin de pouvoir travailler sur un territoire plus vaste avec des enjeux multiples. Il s’agissait pour moi d’un nouveau défi, d’une mise à l’épreuve.
Pourquoi vous sentez-vous utile ?
Mon parcours atypique m’a permis de cerner la maïeutique du projet en ayant plusieurs casquettes et le poste d’AUE nécessite d’être force de proposition auprès d’élus et de demandeurs. L’essentiel est pour moi d’apporter une solution et de trouver un compromis. Nous sommes des facilitateurs même si parfois notre position est vue comme contraignante. Le dialogue et l’échange sont les pivots de nos missions.
En quoi votre expérience antérieure vous a conduit à ce poste et en quoi a-t-elle enrichi votre métier aujourd’hui ?
En activité libérale et un peu à bout de souffle, j’ai repris mes études avec un master II « Villes et territoires, politiques et pratiques de l’urbanisme » à l’ENSA de Nantes. Ce master est proposé en co-habilitation avec l’Université de Nantes (facultés de droit et sciences politiques). Cette formation pluridisciplinaire m’a permis d’explorer les champs de l’aménagement et de l’urbanisme et de comprendre les processus de décisions sur les aménagements urbains. À la suite d’un stage de fin de cursus en collectivité territoriale à Angers Loire Métropole, j’ai fait le choix d’abandonner l’exercice libéral pour un poste permettant de porter les politiques publiques d’aménagement. Le poste d’architecte de la ville de Vitré a été une véritable opportunité car j’ai pu me saisir dans le même temps de la politique de valorisation du patrimoine architectural au travers de la gestion du secteur sauvegardé et de la restauration de monuments historiques portée par la commune.
Le DSA (Diplôme de Spécialisation et d’Approfondissement) de l’École de Chaillot entrepris sur cette période m’a évidemment offert une autre dimension et une maîtrise de la conservation et de la restauration architecturales, urbaines et paysagères. Cette formation nous permet d’anticiper par la connaissance acquise des techniques mais également par la culture du diagnostic, de rendre un avis ou d’apporter une solution. Cette formation est rude et nous amène à nous dépasser tout en renforçant nos convictions.
Comment définiriez-vous votre rôle d’ABF spécifiquement dans votre territoire ?
Le rôle d’ABF est comme un métier à tisser sur lequel chaque fil vient consolider votre posture et votre ouvrage. La région Corse est particulière du fait de son insularité et de son caractère. Il faut se laisser conquérir par cette énergie qui s’impose avec tout le dynamisme nécessaire pour parcourir ses routes de montagne, ses villes, villages et monuments.
Quelle est la mission qui vous tient le plus à cœur ?
La transmission et la pédagogie ; il faut y consacrer une bonne dose d’énergie mais cela s’avère fructueux. L’objectif est de convaincre votre interlocuteur en lui transmettant les éléments de connaissance afin qu’il soit en mesure de maîtriser le processus pour le reproduire à son tour.
Est-ce que vous avez découvert une mission lors de la prise de poste que vous ne soupçonniez pas et que vous appréciez plus particulièrement ?
Il faut savoir être pluriel et répondre à beaucoup de sollicitations. Notre rôle est particulièrement transversal et se trouve à la croisée des chemins de nombreuses politiques (patrimoniale, environnementale, habitat, urbanisme…) Il faut également avoir la capacité d’aborder des points juridiques, budgétaires… Bref, savoir aller chercher l’information m'apparaît primordial afin de formaliser une réponse.
Quel est pour vous le point fort (ou les points forts) du métier ?
Fédérer et orchestrer : il s’agit de créer du lien et comme dans une partition, savoir harmoniser.
Figure 1 : Paysage de l’île de Cavallo au large de Bonifacio. Photographie Noëly Urso.
Quelle a été votre journée la plus mémorable (sens négatif comme positif) ?
Le jour où j’ai appris que j’avais été reçue au concours d’AUE, je doutais de mes capacités à réussir. Cette mise à l’épreuve a été une étape importante dans mon parcours professionnel.
Quelle est la visite la plus insolite que vous avez pu réaliser ?
Il y a des visites d’édifice ou des monuments qui ne vous laissent pas de marbre mais génèrent en vous un sentiment de contentement voire d’euphorie. Je pense à nos visites sur l’île de Cavallo au large de Bonifacio. Lorsque l’on s’y rend pour la première fois, on est fasciné à notre arrivée par ces cailloux qui font le dos rond et émergent de la mer comme des hippopotames. Puis s'ensuivent des visites de maisons de l’architecte Jacques Couëlle, ces maisons à l’architecture organique bâties dans les années 60, des architectures-sculptures. Ces constructions sont fascinantes par leur propension à s’insérer dans le site ; leur l’implantation suit le terrain et la topographie, le paysage et l’orientation déterminent les ouvertures, l’architecte traite le dedans-dehors avec beaucoup de finesse et de sensibilité avec des volumes aux formes souples.
Figures 2, 3, et 4 : Maison de l’architecte Jacques Couëlle. Étude dans le cadre du label ACR. Photographie Noëly Urso.
« L’architecture de Jacques Couëlle est une célébration de la terre. Le soir, lorsque le jour glisse peu à peu hors de nos yeux et s’échappe, les maisons de Jacques Couëlle entrent de nouveau dans la terre pour se confondre avec elle. Et chaque matin lorsque s’éclaire le ciel, elles semblent se dégager du sol et renaître, comme une quotidienne fécondation terrestre. » André Wogenscky, 1998
Quel est le projet que vous avez trouvé le plus stimulant ?
La citadelle d’Ajaccio a suscité depuis mon arrivée en 2016 à l’UDAP de Corse-du-Sud nombre de réflexions, de projets, de pensées, d’élucubrations, de déconvenues, de crispations qui s’agrémentent d’une véritable ferveur à établir le projet qui pourra satisfaire tout un chacun y compris les générations futures. En effet, cette citadelle à vocation militaire est restée fermée longtemps et les habitants pourront la redécouvrir avec la mise en œuvre d’un ambitieux projet porté par la Ville autour d’un nouvel aménagement avec la valorisation des lieux et une requalification à plus long terme. La difficulté est de réussir à transformer cet édifice en maintenant l’esprit des lieux, ses spécificités, son caractère atypique. Une forme de magie opérationnelle se met en œuvre afin de révéler sans altérer l’intégrité des lieux.
Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer et comment les gérez-vous ? Quel enseignement en tirez-vous ?
La pluralité des sujets auxquels il faut répondre est une difficulté. Nous sommes en tant qu’architecte des bâtiments de France aux confins de multiples thématiques en transversalité avec d’autres services de l’État et d’autres institutions. Par conséquent, nous sommes sollicités en permanence. C’est une gymnastique de l’esprit qu’il faut sans cesse maîtriser. L’organisation optimum et une démarche pragmatique en priorisant les sujets me permettent d’y faire face. Il faut savoir également déléguer et compter sur son équipe.
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