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Mireille GUIGNARD, pourquoi AUE ?

Mireille GUIGNARD est AUE, secrétaire général adjointe de la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP).

Entretien réalisé en janvier 2021.


Comment avez-vous découvert ce métier ?


Le plus facilement du monde, par des rencontres fortuites avec un architecte des bâtiments de France, quand j’étais encore architecte maître d'œuvre et salariée en agence. Alors que je cherchais une perspective professionnelle, cette fonction m’apparut comme une possibilité envisageable, facilitée aussi par mon diplôme obtenu à l’école de Chaillot 10 ans auparavant, où certains professeurs avaient été eux-mêmes ABF. Ils nous faisaient rêver par le récit de missions de coopération à l’international, des chantiers en Asie ou Amérique latine, que je percevais comme des opportunités extraordinaires d’apprentissage et de partage de savoirs constructifs.


Ceci restait cependant superficiel. Ce n’est qu’avec la formation post-concours que j’ai découvert tous les avantages du corps des architectes et urbanistes de l’État et la diversité de leurs missions.


Pourquoi avoir choisi ce métier ?


Le changement s’est fait par différentes conjonctions. Mes fonctions professionnelles, plurielles, étaient assez chronophages : enseignante vacataire dans divers champs disciplinaires, encore étudiante en tant que doctorante, goûtant à la recherche occasionnellement, et surtout chef de projet salariée en agence d’architecture et d’urbanisme. Je cherchais à m’investir mieux dans un domaine conforté et éviter la dispersion.


Par ailleurs, à l’école d'architecture de Versailles, je travaillais avec Alain Demangeon qui assurait la formation au concours AUE.

Bien sûr, ce n’est pas qu’une question de hasard ou d’opportunité. Il y avait l’envie d’une stabilité professionnelle et surtout le désir de conserver un métier au service de l'intérêt général. La mission de service public est un moteur génial qui fonctionne même sans beaucoup de carburant ! Ayant réussi major le concours, l’embarquement devenait une évidence.


Pourquoi vous sentez-vous utile ?


Quittant une carrière d’architecte et d’enseignante, passée de l’autre côté de la barrière, je me suis persuadée de l’accent éthique et déontologique de mon choix. J’ai conforté ma vocation à participer à l’évolution collective des projets d’aménagement et à l’amélioration de la qualité architecturale. Cette plus-value me guide inlassablement, portée par les principes de nos lois caractérisant nos biens communs : l’article 110 du Code de l’urbanisme, « le territoire français est le patrimoine commun de la nation » et l’article 1 de la loi de 1977, « L'architecture est […] d'intérêt public ».


Agiles sur les modalités de transformation spatiale, sur les méthodes d’analyse diagnostique et sur la lecture des potentialités ou des dysfonctionnements de la ville, clairvoyants sur l’anticipation des impacts, notre formation spécifique d’architectes nous procure des clefs utiles pour la conduite des politiques publiques - ou de toutes les missions qui nous sont confiées. Théoriquement, nous devrions être en capacité de mieux appréhender les enjeux, de conduire les démarches de manière transversale, articulée, conceptualisée, et d’apporter une attention spécifique aux diverses problématiques pratiques et sensibles de l’aménagement du territoire – notre domaine de prédilection.


Nos compétences, que j’ai eu l’occasion d’éprouver auprès de personnes venues d’horizons très différents, peuvent être précieuses : une obstination pour améliorer les situations, un éternel optimisme, une capacité d’imagination ou d’émerveillement, notamment dans la déclinaison des scénarios possibles, un tropisme pour le changement, et une propension à la problématisation et à l’analyse critique propre à bousculer nos préjugés et nos certitudes. Ces savoir-faire m’ont permis de m’adapter aux situations multiples et changeantes du métier, de prendre l'opportunité des nombreuses aménités des missions rencontrées, de réagir de façon la plus inventive possible sur les méthodes à mettre en œuvre. Il y a beaucoup de similitudes avec le travail d’équipe en agence ou dans les écoles, sans compter l’esprit critique que nous devons exercer constamment. Ce sont sûrement là des plus-values utiles pour les services, en particulier ceux de l’État, qui se doivent de rester proches de la réalité du terrain.

Figure 1 : Atelier de terrain de l'association EUCC à Berck, association créée par le géographe Roland Paskoff : offrir les conditions favorables au dialogue apaisé in situ entre décisionnaires, gestionnaires et scientifiques, afin de mieux comprendre les dynamiques littorales et réfléchir ensemble aux actions à mettre en place. Indispensable : mesurer la valeur de la science au service du projet, l’évidence acquise d’intégrer aux démarches les universités et les acteurs du terrain, les techniciens ou tout spécialiste. J'y apprends aussi les diagnostics en marchant, le rôle primordial des associations, la nécessité de susciter les débats, de partager les multiples points de vue, d’organiser des structures de conseils et d’expérimentation : des acquis indélébiles…et des rencontres humaines inoubliables. Source : Géodune, 2014.


Comment définiriez-vous les spécificités de votre rôle d’architecte et urbaniste de l’État ?


En complément de ce que j'ai déjà dit, à mon sens, les spécificités d’un ou une AUE sont liées à sa formation et à son expérience, un cheminement multiple dans l’exercice du projet. Mais il y a aussi l’être vivant évoluant dans son milieu dynamique, en proie à des appréhensions, des affinités propres, des sensibilités particulières…et il y a surtout les missions confiées et la fonction endossée.


Est-il important de militer pour une spécificité du corps des AUE au sein de l’administration ? Je me suis toujours définie par mon titre, mes missions, mes actions, liées au poste que j’occupe, au sein d’une structure que je représente, et dans laquelle j’évolue, parmi d’autres, indépendamment de mon corps d’État. Lorsque j’occupais le poste d’adjointe au bureau du littoral, à la direction de l’eau et de la biodiversité, mes responsabilités ne dépendaient aucunement de mon statut d’AUE. Les acteurs avec lesquels je travaillais ne se préoccupaient pas de savoir à quel corps j’appartenais, ni la trajectoire opérée. L’important était l’énergie de mon savoir-faire et la capacité de pilotage, qui me rendaient capable de participer à la synergie de l’action collective. Inversement, j’ai côtoyé nombre de personnes dans les services qui auraient pu être AUE ayant les qualités que l’on croit trop souvent exclusivement réservées à ce corps. Nous sommes si peu nombreux et si différents, donc un corps fragile en comparaison à d’autres, comme celui des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts - par exemple.


Quelle est la mission qui vous tient le plus à cœur ?


J’ai été nommée récemment secrétaire général adjointe au sein de la mission interministérielle de la qualité des constructions publiques (MIQCP) structure née à la suite de la loi sur l’architecture de 1977 : n’y-a-t-il pas de dénomination plus inspirante, ménageant assurément des engagements heureux ?


Est-ce que vous avez découvert une mission lors de la prise de poste que vous ne soupçonniez pas et que vous appréciez plus particulièrement ?

Par mon premier poste, j’ai découvert les multiples missions de l’ABF de campagne, postures très surprenantes parfois rocambolesques, qui jouent sur des multiples tableaux, entre l’intimité des habitants et la représentation affichée de l’État en grandes pompes. J’ai ensuite été nommée sur une mission de gestion du domaine de l’État à la sous-direction du littoral et des milieux marins en administration centrale. Les questions de préservation patrimoniale s’élargissaient à la gestion intégrée des zones côtières, à l’apprentissage des phénomènes hydro-sédimentaires, aux stratégies maritimes et à la protection de la biodiversité sous-marine. Comment imaginer que les replantations de mangroves et le recul du trait de côte feraient partie de mes missions le jour où j’ai passé le concours, alors que mes compétences principales portaient plutôt sur le dessin des formes urbaines ?

Figure 2 : Exposition pour la restitution de l’appels à idées « imaginer le littoral de demain » : valoriser, communiquer et restituer, scénographe Pierre Verger, photo : © Mireille Guignard, 2015. Les démarches et opérations initiées pour aménager le littoral et l’organiser face au climat et à son changement à long terme, ont été riches d’enseignements. Elles m’ont familiarisée avec les multiples initiatives : appels à idées, appels à projets, démarches expérimentales, programmes d’actions… Il s’agit de merveilleux outils pour engager des projets complexes et sensibles, pour dépasser les blocages inhérents au changement et aider les décisionnaires, notamment les collectivités, premières compétentes et responsables des opérations territoriales depuis la décentralisation.


Quel(s) est (ou sont), pour vous, le (ou les) point(s) fort(s) du métier ? Nous exerçons un métier de l’ombre, souvent ingrat. Nos missions sont la plupart du temps invisibles. Nous plantons des graines dont nous ne pouvons percevoir les pousses, si elles existent un jour. Parfois, souvent grâce aux remerciements sincères des parties prenantes, nous avons la chance de goûter à la récolte et nous savons qu’un pas a été accompli. Se sentir utile est un sentiment extrêmement important, gratifiant, à l’heure où les conditions de travail sont de plus en plus difficiles, notamment par les incertitudes dans lesquelles le contexte sanitaire nous a plongés et, plus largement, les problématiques sociétales et écologiques qui bousculent nos acquis.


C’est un métier où la curiosité est un guide. Pas un seul jour ne se ressemble. Il existe des opportunités à chaque instant. La prise d’initiatives est généralement bénéfique. Les convictions sont motrices et pérennes et savent ouvrir les portes.


Ce métier procure donc une multiplicité de missions évolutives dans une pluralité de structures, voici manifestement un véritable point fort.

Figure 3 : Visite du Conseil d’État avec un de ses membres : Terry Olson, guidant les futurs architectes et urbanistes de l'État de la promotion 16 dans l'apprentissage des institutions, des règles et de leurs interprétations subtiles. Avant de s’approprier leurs fondements, il nous faut apprécier leur profondeur historique… Photo : © Mireille Guignard, 2010.


Quelle a été votre journée la plus mémorable ?


Il y en a beaucoup, des anecdotiques, des légères et des solennelles : des rencontres impromptues, des échappées à des chutes mortelles, des malentendus burlesques, des simples moments partagés, des sentiments de fierté et de réussite, des émerveillements, des rires et des émotions intenses, et surtout peut-être, le jour de ma prise de conscience de l’immense richesse de la biodiversité de la planète Terre qui la rend si vivante.


Impossible de choisir une journée plus qu’une autre.


Quelle est la mission la plus insolite que vous avez pu réaliser ?


Assurément, c’est l’innocence de mon premier poste, ABF dans le département de Seine-Maritime en Haute-Normandie, qui m’a littéralement projetée dans un territoire inconnu, avec en moyenne une vingtaine de dossiers par jour à traiter, du plus petit détail architectural - l’inénarrable enseigne commerciale - à l’opération de grande échelle - aménagement de vallée ou installation d’éoliennes. À ce rythme, il était courant de vivre des choses insolites, lieux incroyables, personnages surprenants, projets tous aussi étonnants. À la réflexion, ce serait le fondement même de la mission d’ABF qui est insolite : un émerveillement permanent confronté de façon imprévisible à des tranches de territoire comme des multiples leçons de vie – sur lesquelles nous devons émettre un avis…

Figure 4 : Forêt tropicale antillaise. Quand travailler à la Défense peut amener aussi à traverser l’Atlantique. Photo : © Mireille Guignard.


Quel est le projet que vous avez trouvé le plus stimulant ?

En 2012, lorsque je travaillais à la sous-direction du littoral et des milieux marins, sur des missions qui intégraient les questions d’adaptation au changement climatique, des collectivités ont engagé des démarches de recomposition spatiale face au recul du trait de côte dans le cadre d’un appel à projets, des expérimentations propres à réinterroger les modèles urbains et architecturaux. La mission a été stimulante et les enseignements de ces territoires en expérimentation me portent encore aujourd’hui. Ils m’ont notamment permis de rencontrer les terres antillaises, dont celle du Prêcheur, au nord de la Martinique, un réservoir d’initiatives et d’engagements politiques dans le plus beau sens du terme.


Sur l’émulation, je dois citer la mission effectuée pour le Grand Prix de l'urbanisme qui fut une aventure intellectuelle d’une grande richesse, et dont les expériences me servent encore aujourd’hui au sein de la MIQCP : la démonstration par l’exemple, entourée de projets et de personnalités toutes aussi stimulantes les unes que les autres.

Figure 5 : cérémonie du Grand Prix de l’urbanisme 2017, avec la présence généreuse et vive d’Ariella Masboungi, source : médiathèque Terra.


Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer et comment les gérez-vous ? Quel enseignement en tirez-vous ?

Les difficultés sont quotidiennes et de multiples natures ! Elles sont peut-être trop souvent le fait de nos moyens restreints, des temps impartis généralement trop courts, des postures difficiles des services de l’État sur les territoires, des préjugés aussi de nombreux partenaires, etc. Les projets que l’on met en œuvre peuvent déraper parfois pour des détails dérisoires, pour des incompréhensions de quelques individus, des décisions peu évaluées préalablement par certains agents… Nous ne sommes souvent qu’un maillon dans une chaîne complexe dont nous ne connaissons qu’un faible pourcentage de rouages. Mais n’est-ce pas le propre même de la vie ? n’est-il pas nécessaire de s’armer d’une philosophie d’approche quotidienne, une attention à l’écoute et au patient et lent accompagnement. Le sentiment d’échec est cruel, surtout quand beaucoup d’énergie a été mise en jeu et qu’un grand nombre d’acteurs ont été embarqués dans la démarche !


Comment gérer ces difficultés ? Rien n’est insurmontable, apprendre à rebondir, continuer à avancer.

Figure 6 : Rester en veille pour apprendre et s’émerveiller constamment, maquette de la ville de Berlin lors d’un atelier urbain DGALN (Direction Générale de l'Aménagement, du Logement et de la Nature), photo : © Mireille Guignard.


Garder confiance, persévérer, transformer les faiblesses en force, les contraintes en atouts. L’échec, les difficultés, les points de blocage, doivent être sources d’enseignement. J’ai vite appris, surtout dans des structures d’expérimentation et de recherche comme le PUCA (Plan Urbanisme Architecture Construction) ou dans des bureaux centrés sur la conduite de politiques émergentes, que le processus est plus important que le résultat, que l’invention de la méthode in situ est plus efficiente que la recette toute faite et désincarnée. Les difficultés forment ainsi des moteurs inhérents à nos missions, des expériences stimulantes.


L’invention d’outils adaptés et la construction de projets plus concertés peuvent être un remède, comme il faut savoir aimer les conflits et les catalyser : des méthodes partagées, des ateliers de terrain, des cellules de dialogues et de conseils, des inventaires d’exemples valorisant les bonnes pratiques et les difficultés, des lieux d’écoute et de partage internes au service où chacun pourrait trouver matière à épanouissement personnel par des responsabilités adaptées et valorisantes.


Missionnée au sein de l’État depuis 12 ans, je vous confirme que j’ai une chance inouïe, en particulier dans le contexte de crise sanitaire et écologique, d’exercer un métier pluriel, confortable, protégé, ouvrant sur des sujets dont les engagements ne peuvent donner que des satisfactions professionnelles, parce que j’essaye continuellement de les tendre vers des objectifs d’intérêt général, avec celles et ceux qui m’entourent.



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