top of page

Jack Arthaud, pourquoi AUE ?

Jack Arthaud est directeur général de l’Etablissement Public d'Aménagement de Saint-Etienne (EPASE).

Entretien réalisé le 6 janvier 2021



Comment avez-vous découvert ce métier ?


Au début de ma carrière, j'ai travaillé durant une dizaine d'années pour le Service Spécial des Bases Aériennes Sud-ouest. Il y avait des Architectes et Urbaniste de l’État au sein de cette structure qui dépendait du ministère de l’Équipement : ce sont eux qui m'ont fait découvrir le métier d'AUE : des AUE qui parlent aux AUE, ou aux futurs AUE.


À l'époque, j'avais une formation technique de conducteur de travaux de l’École Supérieure des Travaux Publics. En parallèle de mon travail, j'étais reparti à l'école d'architecture de Bordeaux. Quand j'ai été diplômé, mes collègues AUE m'ont encouragé à passer le concours d’AUE. C’est comme cela que je suis rentré en 1999 dans la formation initiale à l’École des Ponts et à Chaillot.


Pourquoi avoir choisi ce métier : pourquoi avoir changé de métier, quel a été le déclencheur pour sauter le pas ?


Lorsque j'ai obtenu mon diplôme d'architecte, je me suis installé en tant que libéral à Bordeaux. J'ai monté une agence modeste qui commençait à tourner. Je travaillais en collaboration avec un architecte bordelais qui s'appelait Michel Sadirac, qui est décédé dans cette période, à la fin des années 90. Son décès m'a profondément marqué et m'a fait prendre conscience du fait que si je m'installais vraiment à Bordeaux, je n'allais pas en bouger, comme lui, parce qu'il avait œuvré toute sa vie à Bordeaux. Je voulais vraiment avoir la capacité de voyager, notamment grâce à mon métier.


J'avais fait plein de choses déjà dans ma vie et je me disais : pourquoi ne pas passer le concours AUE pour exercer dans d'autres niveaux de responsabilités, dans d'autres métiers, dans d'autres horizons ? J'ai donc passé et réussi le concours et quand il a fallu choisir un poste début 2000, j'ai choisi la DDE en Martinique. J'y suis resté 7 ans avec 2 postes successifs, puis après une affectation à Perpignan où j’ai passé 3 ans en DDT (enfin à l'époque c'était des DDE qui se sont transformés en DDT), je suis parti 7 ans en Guyane. Donc mon envie de voyager a bien fonctionné. Aujourd'hui, je suis à Saint-Étienne depuis 3 ans et demi. Il y a de la neige, on est en moyenne montagne. C'est une autre forme d'exotisme !


Pourquoi vous sentez-vous utile ? Quelle plus-value pensez-vous apporter en tant qu'architecte au sein de l’État ?


J'ai toujours considéré que les architectes appartenaient à la filière technique des services de l’État et non pas à la filière administrative. Dans cette filière technique, il y a beaucoup d'ingénieurs. Et les ingénieurs ont une démarche qui est complètement différente de celle de l'architecte. L'ingénieur, va avoir tendance à raisonner en termes de « résolution de problème ». Il va faire des variantes, poser 3 solutions, avantages-inconvénients. La démarche d'architecte est complètement différente. Nous avons une démarche de projet qui est vraiment spécifique. Nous cherchons à poser une problématique, à comprendre ce qui se passe, et puis derrière en hiérarchisant les différentes priorités, nous arrivons à un projet. Il n'y a pas trois solutions : il n'y a plus qu'un projet. Cela peut déconcerter parfois les ingénieurs, mais c'est cette spécificité que je mets souvent en avant.


Figure 1 : Site interactif « disparu » des PPR de la Martinique - Jack Arthaud, 2004.


Quelle est la mission qui vous tient le plus à cœur ?


Ce sont les fonctions de directeur général d'un établissement public d'aménagement, que j'occupe depuis 10 ans, qui sont les plus intéressantes, notamment en termes de responsabilités. Quelque part, elles me donnent tous les dispositifs et tous les leviers pour bien faire, … ou mal faire. En tous cas pour faire. Donc j'essaie plutôt de bien faire.


Dans la première dizaine d'années de ma carrière d'AUE, de 2000 à 2010, en services déconcentrés de l’État, j'ai aussi réalisé des choses intéressantes, assez singulières.


Par exemple, entre 2000 et 2004, j'avais comme préfet de la Martinique Michel Cadot, célèbre depuis en région parisienne. Ensemble, nous avons réussi à élaborer et faire approuver la totalité des plans de prévention des risques sur les 27 communes de la Martinique, à l'unanimité des conseils municipaux. C'était quand même un exploit que de réussir dans un contexte où sont cumulés à peu près tous les risques, tous les aléas naturels, à part les avalanches ! Réussir à produire des documents, en co-construction avec les collectivités, les faire approuver et mettre en place les outils pour qu'ils puissent être utilisés par tout le monde, c'était la première fois que ça se faisait. Et ça ne s'est jamais refait depuis. Donc, j'étais assez content d'avoir pu mettre en place ce type d'outil. Je suis très fier de cette mission.


Figure 2 : Espaces publics – Manufacture de Saint-Etienne – Jack Arthaud, 2020.


Donc si j'avais un conseil à donner à votre petite promotion d'élèves AUE (quand je dis petite c'est par le nombre, pas par la qualité !), c'est : rester très humble quand vous allez prendre vos postes, que ce soit par rapport aux services en place mais aussi et surtout par rapport à tous les partenaires externes que vous aurez en face de vous.


Comment situez-vous votre position de fonctionnaire d'Etat dans la manière d’aborder le métier d’architecte, dans la matière d'architecture, dans la fabrique de la ville ?


J'ai du mal à détacher ma fonction d'AUE par rapport à ma fonction de directeur général d'un établissement public d'aménagement. C'est une chose qui peut sembler singulière, car durant les 10 ans que j'ai passés dans les services de l’État, j'avais tendance, comme tout le monde, à mettre en avant mon grade, donc architecte et urbaniste de l’État, puis architecte-urbaniste en chef, et général. Après général je ne sais pas ce qu'il reste : ah si, la retraite !


Je pense que depuis au moins 10 ans je n'ai pas dû utiliser le terme d'architecte et urbaniste de l’État. Parce que globalement vis-à-vis de mes fonctions actuelles, cette distinction ne présente pas d'intérêt. Aujourd'hui je ne suis pas sûr que mes collaborateurs et partenaires soient au courant que je suis dans un corps de la fonction publique qui s'appelle le corps des architectes et urbanistes de l’État.


Est-ce que pour vous ça influe sur la manière dont vous considérez la fabrique de la ville dans votre position ?


Je reviens à la comparaison entre l'architecte et l'ingénieur, et sur cette spécificité de la compréhension que nous pouvons avoir de la conception d'un espace, parce que nous avons travaillé ce point dans nos études, et puis après dans nos pratiques. Et effectivement, pour moi, ce n'est pas tant le fait d'être architecte et urbaniste de l’État que ma formation d'architecte qui influe ma pratique générale.


J'ai travaillé à plusieurs échelles. J'ai une formation technique à la base qui m’a permis de travailler d'abord à l'échelle du bâtiment. Puis durant ma formation d'architecte, j'ai abordé le bâtiment, mais plus seulement sous son aspect technique : avec aussi tous les aspects qui font l'architecture. Je pourrais reprendre Vitruve et Joseph Belmont pour évoquer tout ça, mais bon, je vais faire simple !


Dans la seconde partie de ma carrière, en tant qu'AUE, j'ai changé de dimension. Je suis passé sur l'aménagement du territoire, la planification, dans tous ces niveaux. Je peux évoquer, par exemple, l'accompagnement des PLU, des SCOT, des schémas d'aménagement régionaux, l'élaboration de documents spécifiques tels que le plan de prévention des risques… Et donc l'échelle du grand territoire.


Depuis 10 ans, en tant qu'aménageur, je découvre une dimension intermédiaire, qui est celle de l'aménagement opérationnel, de l'aménagement urbain. Nous sommes vraiment à l'échelle des quartiers. Je découvre aussi d'autres métiers : il n'y a pas simplement la conception, il y a aussi le monde économique qui prend vraiment sa place, celui de l'aménagement, du promoteur qui va construire, de l'industriel ou du commerçant qui va s'implanter. Et je m'enrichis aussi de ces différents éléments. Mais le fait, effectivement, d'avoir cette formation d'architecte, cette vision de l'espace et de toutes ces dimensions, pour moi, c'est très important, parce que ça me permet d'avoir une vision globale de l'ensemble des problématiques auxquelles je peux être confronté, directement ou indirectement.


Figure 3 : Construction du nouveau siège de l’EPA Guyane - Jack Arthaud, 2016.


Quel est pour vous le point fort (ou les points forts) du métier ?


C'est vraiment la diversité des métiers et des fonctions qui font la richesse de l'AUE. Parce que nous pouvons exercer les métiers à toutes les échelles, comme je viens de l'expliquer. Il y a plein de métiers que je n'ai pas faits, d'ailleurs. Par exemple, il y a des AUE qui se sont spécialisés davantage sur la question de management, d'autres qui sont entrés au secrétariat général du ministère. Une de mes collègues de promo a même changé de corps. Aujourd'hui, elle n'est plus AUE, elle est sous-préfète à la Réunion.


Pouvez-vous évoquer un événement ou une journée mémorable (sens négatif comme positif)?


Je garde un très bon souvenir des études des 9 mois que nous passons, pendant la formation d'AUE, à l'école des Ponts et à Chaillot, et de la présentation du mémoire à la fin de notre stage. Ça a été un moment vraiment agréable dans ma vie. C'était une réelle pause. Après avoir travaillé énormément pour assumer mon travail et mes études simultanément, je me suis retrouvé quasiment du jour au lendemain sur les bancs de l'école, à suivre des cours, ne faire que ça. C'était un grand moment. Et puis les cours étaient de très bon niveau, donc très enrichissants.


Après j'ai connu beaucoup de bons moments dans ma vie professionnelle. Mais ce que je retiens surtout d'intéressant, c'est la diversité du parcours, notamment géographique, parce qu'effectivement être AUE m'a permis d'être mobile, conformément à ma volonté. La diversité des métiers est également remarquable. Si j'évoque deux de mes postes a priori similaires : directeur général d'établissement public d'aménagement de Guyane et directeur général de l'établissement public d'aménagement de Saint-Étienne, il est possible de penser que c'est la même mission, et pourtant, non ! Ce n'est absolument pas la même mission. En effet, le territoire, les attentes, les projets sont complètement différents, et donc, je n'ai pas fait du tout le même travail. C'est aussi une des richesses.


Figure 4 : Maison créole à Cayenne - Jack Arthaud, 2014.


Quelle est la mission/la rencontre la plus insolite que vous avez pu réaliser ?


Alors que j'étais nouvellement en poste, je me souviens m'être retrouvé dans un entretien presque en tête-à-tête entre Dominique de Villepin et Aimé Césaire : en comité très restreint, avec peut-être 2 ou 3 personnes autour. C'était dans les années 2000. À l'époque, Dominique de Villepin était Premier Ministre. Aimé Césaire n'était déjà plus maire : il était maire-honoraire. Il avait un âge certain…Et donc, ils discutent. A la fin de l'entretien, Aimé Césaire dit à Dominique de Villepin : « Bon maintenant, aboule le fric ! » C'est la vision que des élus peuvent avoir de l’État, ou pouvaient avoir en tous cas à l'époque. C'est-à-dire il faut que l'État amène l'argent et puis les élus vont gérer. Aujourd'hui les élus ne le disent plus forcément comme ça mais l'idée est toujours présente en arrière-pensée.


Quel est le projet que vous avez trouvé le plus stimulant ? Qui vous a fait sortir de votre zone de confort et qui vous a amené à tester, expérimenter quelque chose que… que vous ne soupçonniez pas ?


Être DG de l'établissement public d'aménagement en Guyane, c'est sortir de sa zone de confort, immédiatement ! Étant donné les enjeux qui sont ceux du territoire et les moyens qui sont ceux de l'établissement public, que ce soit en termes de ressources humaines, de ressources financières, de contraintes administratives diverses et variées. Cette réalité est accentuée par le fait qu'il s'agit d'un territoire mal-connu, et souvent mal administré aussi bien par les services de l’État que par les collectivités.


Je me suis retrouvé, par exemple, face à un maire et une trentaine de personnes qui venaient me bloquer dans mon bureau pendant une journée parce que nous avions obtenu une Déclaration d'Utilité Publique sur le terrain d'un concitoyen. Le maire avait approuvé la DUP, mais juste avant les élections. Et là, il n'était visiblement plus d'accord, parce qu'il risquait de perdre un électeur… Donc, voilà le genre de choses sympathiques qui peuvent vous arriver !



Pour partager cet article :


Comments


bottom of page