top of page

Isabel DIAZ, pourquoi AUE ?

Isabel DIAZ est AUE, cheffe du bureau des stratégies territoriales, à la DHUP (Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages) depuis avril 2013, Paris.

Entretien réalisé le 24 février 2021.


Comment avez-vous découvert ce métier ?


J’ai découvert le concours d’Architecte et Urbaniste de l’État (AUE) en rencontrant d’autres AUE dans mon travail. Je travaillais dans un organisme subventionné en partie par le ministère des Affaires étrangères, avec la participation du ministère chargé de l’Urbanisme. C’était il y a plus de 10 ans.

Je travaillais plus précisément à l’ISTEED (Institut des Sciences et des Techniques de l’Équipement et de l’Environnement pour le Développement). Cet organisme a disparu aujourd’hui. Il y avait un pôle urbain dans lequel je me situais, un autre pôle transport et mobilité et un pôle dédié aux routes (avec le ministère de l’Équipement, chargé des routes à l’époque). Les missions se destinaient à l’international, dans le cadre de l’intégration des pays de l’est de l’Europe, pour les pays qu’on appelle du Sud ou émergents. Les cadres étaient pour certains d’entre eux des fonctionnaires d’État. Je m’occupais de la recherche et de l’urbanisme pour les pays du Sud.

Pendant cinq ans, j’ai été chargée de mettre en place et de piloter un programme de recherche urbaine en coopération entre des instituts ou laboratoires universitaires français associés à des organismes étrangers. Il y avait une trentaine d'équipes dans 3 régions du monde (Asie, Amérique du Sud, Afrique). Je coordonnais les travaux de chercheurs qui étaient sur le terrain, j’organisais des rencontres, des séminaires dans ces différentes parties du monde sur des thématiques relatives à l’habitat, les services urbains, la gouvernance de projet, les mouvements sociaux, les problématiques foncières.

Un de mes partenaires était AUE : il était un commanditaire du côté du ministère des Affaires étrangères. Je n’avais pas imaginé que ce poste était ouvert aux AUE. Je me suis renseignée par la suite, assez simplement.


Pourquoi avoir choisi ce métier ? Quel a été le déclencheur pour sauter le pas ?


Ce n’était pas tellement un saut. J’avais travaillé dans le pilotage de programme. Il me semble qu’au sein de l’État, les AUE ont cette posture de pilotage et de maîtrise d’ouvrage : c’était plutôt une consolidation de ce rôle-là, une continuité plus qu’une rupture. L’un des rôles d’un AUE est de mettre à profit son savoir-faire de pilotage, d’animation de réseaux, de connexions entre les sujets et les expertises.

En revanche, le changement a été géographique puisque j’allais travailler sur l’urbanisme et l’aménagement en France, ce qui était très nouveau pour moi. Je connaissais très peu ce terrain du point de vue de l’administration d’État, en termes juridiques notamment, (Code de l’urbanisme). Je connaissais davantage le Code de la construction et de l’habitat et les sujets traités avec un prisme d’expertise internationale.

Il y avait ainsi une continuité de savoir-faire plus que de métier, avec une matière nouvelle et un terrain nouveau : œuvrer à l’urbanisme en France.


Cette idée d’engagement par le terrain m’a bien portée. Être en France ne m'a pas empêchée de découvrir des choses nouvelles, y compris en résonance avec mes expériences à l’étranger.


Figure 1 : Extraits du livret La Moselle en commun, octobre 2020. Restitution de l’Atelier des Territoires consacré au thème de l’eau dans l’aménagement dans le bassin versant de la Moselle, communauté d’agglomération d’Épinal, département des Vosges.


Pourquoi vous sentez-vous utile ? Quelle plus-value pensez-vous apporter en tant qu'architecte au sein de l'État ?


Je me considère plus comme une urbaniste qu’une architecte. J’ai un diplôme d’architecte et j’ai travaillé un peu en agence au début de ma carrière. Par la suite, j’ai fait un master d’urbanisme.

Dans la continuité de ce que je disais, je peux me sentir utile dans mon rôle d’ensemblier. J’ai toujours eu besoin de personnes expertes sur des sujets pointus car je suis une généraliste. En tant qu’urbaniste je peux apporter une vision qui rassemble des points de vue divers, qui intègre les expertises. Surtout lorsque l’on constate des contradictions à dépasser, comme c’est le cas dans le pilotage de politiques publiques. Je me sens utile dans un métier où l’on assemble des compétences complexes et éclairantes sur différents aspects des politiques que nous portons.


J’apprécie le rôle de pilotage de projets et d’actions, car c’est un rôle où on peut avoir une vision transversale et pluridisciplinaire. Je pense que l’urbaniste a cette vision spécifique, c'est-à-dire une vision de projet dans laquelle se rassemblent des visions expertes très diverses.


Je ne suis pas très attachée au fait que je fasse partie du corps des AUE, chacun possède ses propres compétences au-delà de l’identité de corps, chacun a un parcours professionnel et personnel qui marque la posture et l’approche des sujets. Ce qui m’intéresse est la façon très diversifiée de porter les politiques publiques que nous mettons en place, que nous mobilisons.


En quoi votre expérience antérieure vous a conduit à ce poste et en quoi a-t-elle enrichi votre métier aujourd'hui ?


À mon sens, travailler à l’étranger est toujours extrêmement enrichissant, pour le métier qu’on fait et du point de vue personnel, de l’expérience propre. Je ne saurais pas dire précisément en quoi les questions d’urbanisme et d’architecture que j’ai abordées ailleurs servent en France. Il n’y a pas de glissement exact et c’est normal. J’ai cependant des exemples qui me viennent à l’esprit.


Par exemple, l’urbanisme tactique et transitoire d’aujourd’hui, qui actualise les questions d’usages et d’usagers, est un sujet que j’ai d’abord vu mis en avant dans les villes pauvres, il y a 10 ou 15 ans, de manière extrêmement utile. Cette pratique multiforme fait écho à des choses que j’ai pu voir ailleurs dans des contextes différents. Elle venait de professionnels plutôt du développement local, de l’économie, de la sociologie.


Sur notre approche des énergies renouvelables, je retrouve également des échos aux projets que j’ai vu mettre en place dans des pays sans système énergétique national. Il était question de mettre à profit certaines ressources d’un territoire pour son propre fonctionnement. La question de l’espace public qui va de soi dans tout pays démocratique n’est pas forcément assurée dans d’autres contextes, il peut devenir lieu de surveillance, de manque de sécurité extrême. Voyant des situations d’inconfort ailleurs, cela nous permet de valoriser ce que nous avons acquis dans nos territoires.


Comment définiriez-vous les spécificités de votre rôle d'AUE ? Que signifie pour vous être architecte urbaniste au sein de l'État?

C’est une question difficile et très large. Ce qualificatif d’AUE n’est pas forcément déterminant. En revanche, le fait de venir de l’extérieur au sein de l’État, à un moment donné, me semble plus déterminant. Je n’ai pas été formée dans des écoles de l’État, sur sa lecture technique des métiers ou sur les questions administratives ou encore d’organisation des institutions. Je suis venue avec un bagage différent et j’essaye de faire en sorte que ce bagage soit mis au service des politiques publiques et en retour je me suis formée aux exigences et au cadre de travail.

L’engagement de servir au sein de l’État a été mon fil rouge, en pratiquant des politiques publiques en externe. Je n’étais cependant pas familière avec l’organisation au sein des ministères. J’y suis venue avec ma vision extérieure, liée non pas à la politique elle-même et à son écriture, mais à la façon dont on peut la porter dans les territoires, dans les milieux urbains, par des acteurs extérieurs de la recherche et de l’urbanisme aux côtés de ceux de l’État.

Je peux être un relais de ces acteurs. Dans mon poste actuel, je travaille avec eux : je suis cheffe du bureau des stratégies territoriales en administration centrale. Nous nous occupons du Grand Prix de l’urbanisme, du Palmarès des jeunes urbanistes, de l’atelier des territoires et nous travaillons avec des architectes, des urbanistes, des paysagistes mais également des ingénieurs ou sociologues.


Figure 2 : Grand Prix de l'urbanisme 2020 : Jacqueline Osty (source : ministère de la Transition écologique)


Quelles sont les missions qui vous tiennent le plus à cœur ?

Cela fait 10 ans que je suis AUE, j’ai occupé quatre postes. Mon premier poste était à la Direction Départementale des Territoires (DDT) des Yvelines. Je suis arrivée auprès de la directrice, j’occupais un poste dit « Grenelle » pour sensibiliser la DDT aux questions du développement durable. J’avais aussi la mission de la territorialisation des Objectifs de Développement Durable qui devait être mise en place à l’échelle de chaque territoire et au sein de l’État. C’était un peu compliqué, arrivant de l’extérieur sur un poste nouvellement créé pour proposer des changements de pratique là où tout le monde avait sa place, dans un contexte de réorganisation récente.

Ensuite j’ai intégré l’organigramme de la DDT. J’étais l’une des deux adjoints au chef de service aménagement, en gardant cette mission de sensibilisation à la Transition écologique que je pouvais partager avec tous les services. C’était passionnant. Je peux citer l’une de mes actions. Tous les premiers jeudis matin du mois, nous choisissions un thème et tous les agents étaient invités à débattre : les secrétaires, les chargés de mission, les chefs. J’ai pris beaucoup de plaisir à inviter tous les agents au débat, à sortir un peu de la hiérarchie, à mobiliser des experts variés, des agents internes ou des partenaires extérieurs qui développent une thématique précise. Cette liberté d’organiser ces ateliers était vraiment une belle expérience, une manière d’intégrer le sujet de la transition sans que ce soit incongru ou dérangeant pour les agents dans leur travail.

Figure 3 : Les 17 Objectifs de développement durable, source : ministère de la Transition écologique.


Je suis ensuite venue en administration centrale, à la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP), comme chargée de mission dans le bureau où je suis cheffe actuellement. J’ai fait cela 2 ans. Parmi les missions que je mène aujourd’hui, l’atelier des territoires est indéniablement la mission qui me plaît le plus. Il faut 6 mois pour préparer une session nationale d’atelier. Il y a un travail très lourd d’organisation, et après ça un vrai bonheur de se retrouver sur le terrain. Après ces 6 mois de travail, avec les partenaires, pour le lancement de la thématique et la sélection des sites, on se met en retrait. Nous déléguons l’animation, et le moment le plus émouvant reste toujours le premier atelier, où l’équipe est présente, les élus arrivent, et tout le monde se retrouve ensemble autour des enjeux d’un territoire et de leurs acteurs.

Pour chaque atelier, chaque site, c’est à chaque fois nouveau. Cette dimension où les choses se renouvellent, avec une méthodologie qui est là, stable, est la preuve que les recettes toutes faites n’existent pas. C’est Cristina Garcez qui a mis en place cette méthodologie, on peut lui rendre hommage. Ensuite nous ne nous ennuyons jamais, nous découvrons toujours des choses passionnantes.

Est-ce que vous avez découvert des missions que vous ne soupçonniez pas et pouvez-vous décrire un moment mémorable ?

Dans le bureau, nous développons la mission atelier des territoires sous différentes formes, ce qui prend 70% de notre temps. Nous avons ensuite une autre mission, l’accompagnement des schémas régionaux : pour les outre-mer (SAR), pour la France métropolitaine (SRADDET), dans une moindre mesure pour la Corse (PADUC) et pour l’Ile-de-France (SDRIF). Les SAR et le SDRIF sont des documents approuvés par décret en Conseil d’État. C’est le préfet de Région qui approuve les SRADDET. Le PADUC est complètement décentralisé, c’est la collectivité qui l’élabore et qui l’approuve.

Quand je suis arrivée en 2013, c’était le moment de la fin de l’élaboration de la révision du SDRIF qui se conclut par l’examen du projet en section des Travaux Publics du Conseil d’État. C’est un moment particulier qui vient après beaucoup de travail de la Région en concertation avec l’État. Ce fut un moment passionnant. Le Conseil d’État discute et amende s’il le faut le projet à son niveau. Il en sort une version estampillée Conseil d’État. J’y ai participé en tant que commissaire du gouvernement : tous les services concernés par le sujet SDRIF au niveau national désignent des commissaires du gouvernement. Nous étions dans l’hémicycle, derrière nos directeurs, avec la Région en première ligne. La rapporteuse lit son rapport et donne sa lecture du projet. Le temps de la discussion fut très intense et dense entre la Région, l’État qui apporte des éléments, les conseillers d’État qui discutent entre eux. S’ensuivent la délibération et le décret d’approbation.


D’autres missions sont aussi pour moi très marquantes. Je peux citer le Grand Prix de l’urbanisme, dont on s’occupe depuis l’année dernière seulement au bureau des stratégies territoriales. C’est passionnant de travailler avec Ariella Masboungi, d'avoir côtoyé Patrick Bouchain l’année passée, Jacqueline Osty cette année, de rentrer dans leur travail de toute une vie. On comprend mieux en quoi ces praticiens comptent pour la discipline de l’urbanisme. Le Palmarès des jeunes urbanistes me permet de côtoyer des talents tellement engagés et cela rassure quant à l’avenir de l'intérêt général. On aimerait que le monde du terrain et de la décision locale soit plus lié avec celui de la discipline de l’urbanisme.


Figure 4 : Rencontre nationale de l'atelier des territoires “ Quelle place pour l'eau dans l'aménagement ? Préservation de la ressource et évolution des usages ” octobre 2020 (photo Marine Leconte).


Par ailleurs, de l’extérieur peut émerger une vision très rigide de l’État alors que j’ai franchement découvert au sein de l’État énormément d’inventivité. Nous sommes dans des systèmes hiérarchiques forts, mais nous sommes aussi dans des métiers où la créativité est permise. Parmi mes découvertes, je retiens la capacité que nous avons à sortir d’une vision très homogène au sein des services de l’État. Nous pouvons passer de sujets régaliens et juridiques à des sujets de fond et de terrain, puis comprendre et rendre compte de l’articulation de ces sujets.



Figure 5 : Publication du ministère de la Transition écologique, aux éditions Parenthèses.


Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer et comment les gérez-vous ? Quel enseignement en tirez-vous ?

Une difficulté récurrente en administration centrale vient des commandes directes des cabinets et des ministres. C’est quelque chose qui occupe le quotidien de tous les agents : il y a souvent une note pour le/la ministre à faire pour le soir même, le lendemain… C’est difficile de gérer vis-à-vis de dossiers sur lesquels il faut du temps et de la concentration. Nous appelons ça la « commande cabinet ». C’est un fait à accepter et apprendre à gérer. Sachant que l’organisation hiérarchique permet d’organiser les travaux de manière très efficace.

Quels sont pour vous les points forts du métier ?

Le point fort de mon métier réside dans les liens et les allers-retours permanents entre le terrain et la formulation des grandes politiques publiques. Cette confrontation est mon quotidien. Il faut faire en sorte que les doctrines percolent sur le terrain. Dans mon cas, c'est au travers de dispositifs d’accompagnement (atelier des territoires), de la mise à disposition d’ingénierie (Grand Prix, Palmarès des jeunes urbanistes) et de visions stratégiques (schémas régionaux).

Nous avons besoin de ce brassage de connaissances (à la fois académique et venant du terrain) dans l’élaboration des politiques publiques. Ce besoin d’être toujours pluridisciplinaire, ne rien faire sans l’association d’une série d’acteurs, de savoir-faire et de connaissances qui se retrouvent dans les services de l’État, dans les mairies, le secteur associatif.

Nous sommes vraiment dans une dynamique itérative : entre la fabrique de la loi et la connaissance qui vient du terrain. Dans une logique systémique, nous cherchons la complémentarité permanente entre les transitions sur le terrain et la doctrine, qui contient les enjeux d’aujourd’hui.

Pour aller plus loin et découvrir l’Atelier des Territoires :



Pour partager cet article :


תגובות


bottom of page