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François MARTIN, pourquoi AUE ?

François MARTIN est AUE à la DDTM du Finistère, chef d’une mission transversale « stratégies territoriales » (depuis 2010), et depuis 2018 coordinateur du groupe local Frugalité Heureuse Finistère – Brest.

Entretien réalisé le 10 février 2021.



Comment avez-vous découvert ce métier ?


Complètement par hasard ! Je n’en avais jamais entendu parler, ni à l’école, ni après ! J’ai eu l’info par une amie qui via son boulot dans l’administration est tombée sur l’annonce du concours d’AUE de 1993 dans le JO (Journal Officiel) et m’a dit : « Tu connais ? ça devrait t’intéresser... ». J’avais 34 ans, quasiment l’âge limite.


Pourquoi avoir choisi ce métier ?


En gros, l’école nous formatait soit à l’exercice libéral, soit à faire complètement autre chose, mais surtout pas de l’urbanisme ! J’ai donc logiquement choisi l’exercice libéral de l’architecture, partageant alors cette vision très négative de l’urbanisme et de l’administration…


10 années de travail intensif en libéral m’ont appris ce métier, elles m’ont aussi ouvert les yeux sur le vide qu’il y a en amont de l’acte de construire, ce qui expliquait mon désarroi vis à vis de programmes mal ficelés, ou de pas de programme du tout, de projets au mauvais endroit, de discussions surréalistes sur les honoraires.


J’avais compris qu’il fallait que l’architecte apporte sa vision et sa culture en amont de l’acte de construire, mais je n’avais alors pas la moindre idée sur la manière de procéder ni du chemin pour y parvenir !


Ignorant donc tout de l’administration, bardé de ces préjugés, je me suis tout de même inscrit au concours, parce que comme disait Brel : « Il faut aller voir », sans me douter un seul instant que dans ma tête, j’avais fait le chemin de cette mutation archi/privé vers urba/public. En fait, je ne venais pas par défaut de job mais par vocation et par intuition, ce qui m’a permis d’être reçu du premier coup et de me retrouver avec un concours réussi et la moitié d’un cabinet d’architecte à vendre !


Pourquoi vous sentez-vous utile ?


L’architecte a le cerveau formaté projet, c'est-à-dire pour une conception holistique, partagée et intégrative du projet, mais aussi pour le passage du projet à sa réalisation, que ce soit un projet de bâtiment, de territoire ou autre. C’est chromosomique ! Sur le terrain, l’administration de l’urbanisme, au sein de l’État est assurée très majoritairement par des techniciens qui raisonnent technique, des administratifs qui raisonnent dossier ou des juristes qui raisonnent procédure. Or l’urbanisme est un acte politique, au sens noble du terme, c’est d’ailleurs la même racine étymologique, et il faut donc appréhender l’urbanisme comme outil du projet politique et non comme une procédure bureaucratique. Cela implique d’avoir un cerveau qui fonctionne en mode projet, d’être capable d’intégrer la complexité systémique des impératifs de toutes natures que l’État dans ce domaine a la responsabilité de porter auprès des acteurs locaux.


En quoi votre expérience antérieure vous a conduit à ce poste et en quoi a-t-elle enrichi votre métier aujourd’hui ?


Quand on a été libéral, avant d’être architecte, on est entrepreneur !

Du coup, face à un obstacle, on ne conclut pas que « c’est impossible puisque ça n’a jamais été fait » ou qu’il est urgent d’attendre une circulaire, une jurisprudence ou je ne sais quoi ! Mais plutôt qu’il est urgent de trouver les moyens d’agir. Avant d’aller sur la Lune, on n’y était jamais allé !

On m’a fait faire un stage d’immersion quand je suis entré dans l’administration, de la même manière certains devraient faire des stages d’émersion !


Comment définiriez-vous votre rôle d’AUE spécifiquement dans votre territoire ?


Il y a deux postures d’AUE vraiment distinctes :

- La posture ABF, c’est une posture identifiée, lisible et forte : l’ABF a un pouvoir administratif en propre. « L’ABF, le pouvoir de dire non » titrait la revue d’A en 1995. L’ABF est un acteur incontournable sur la question du patrimoine, en outre il se retrouve parmi ses pairs dans son UDAP (Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine), sur un objet familier et une mission très bien balisée.

- L’autre posture qui ne porte même pas de nom tellement elle est floue, n’a rien à voir : L’AUE va se retrouver seul dans une structure administrative très hiérarchisée, il sera très minoritaire dans sa forme de culture, ce qui va soit le porter, s’il arrive à développer un paradigme alternatif et générer des alliances, soit l’isoler… Il ne dispose d’aucun statut : n’importe qui peut être chef de service urbanisme, un SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) ou un PLU (Plan Local d’Urbanisme) n’a pas besoin d’avoir l’avis favorable d’un AUE contrairement à la pose d’un velux à quelques centaines de mètres d’un MH (Monument Historique). Il faut faire la place, d’où mon implication sur la durée et dans les réseaux locaux.


Figure 1: Si l’AUE « Bâtiments de France » est bien connu du public et des professionnels, ce n’est pas le cas de l’AUE « DDT(M) ». La déclinaison locale d’une politique nationale est souvent une opportunité pour valoriser le travail de fond en mode projet, tout en contournant la tendance des médias à aborder les sujets d’urbanisme par la polémique ou l’effet spectacle (participation à un débat télévisé sur la revitalisation des bourgs, TEBEO 01/2021).


Quelle est la mission qui vous tient le plus à cœur ?


Mon fil rouge, c’est que l’urbanisme sorte de son enfermement bureaucratique pour redevenir l’acte politique qu’il doit être : « urbs » est la traduction latine du grec «πόλις»*, le projet d’urbanisme étant en toute logique la traduction territoriale du projet politique.


Est-ce que vous avez découvert une mission lors de la prise de poste que vous ne soupçonniez pas et que vous appréciez plus particulièrement ?


J’ai surtout découvert que les choses ne peuvent changer que si on s’emploie à les faire changer, que le changement se fait par des jeux d’alliance et sur le temps long, que les rigidités ne sont pas si rigides que ça, et qu’au fond, beaucoup de collègues sont sur des postures de repli faute de percevoir le sens profond de leur action.


L’architecte ou architecte urbaniste, par nature, peut et doit apporter cette vision ; y compris en posture de manager, car manager ce n’est pas faire de la gestion bureaucratique ETP (Équivalent Temps Plein, acronyme désignant usuellement le personnel sous un angle quantitatif) mais diriger des personnes, donner du sens, donner de l’envie, donner des perspectives, donner de l’enthousiasme.


Comment situez-vous votre position de fonctionnaire d'Etat dans la manière d’aborder le métier d’architecte, dans la matière d'architecture, dans la fabrique de la ville ?


Le propre de l’architecte étant à mon sens la faculté de penser projet, celle-ci est appliquée non pas à l’objet bâtiment, mais à l’objet territoire, au final à la fabrique de ce qui fait urbanité, que l’on soit en milieu urbain, ou en milieu rural… Nous avons par exemple en Bretagne, contextualisé la notion écoquartier qui sonnait trop Freiburg, préférant parler d’éco-bourg, le bourg faisant quartier en milieu rural, ce qui parle nettement mieux à nos élus et partenaires ruraux. Contextualiser et dé-technocratiser le langage et les outils administratifs fait aussi partie du job.

Figure 2 et 3 : L’intérêt de l’exercice du métier d’AUE au sein d’un DDTM est de rester au contact direct du territoire et des acteurs locaux (une réunion d’information en mairie, une journée pédagogique avec les chargés d’étude de la DDTM).


Quel(s) est (ou sont), pour vous, le (ou les) point(s) fort(s) du métier ?


La capacité de penser "projet" de l'amont à l'aval d'une démarche…


Figure 4 : La mise en œuvre de la politique « énergie éolienne » en 2000 a été une formidable opportunité pour appréhender le sujet dans sa dimension territoriale : l’AUE apporte sa capacité de penser « projet », dans les 4 dimensions et à toutes les échelles…


Quelle a été votre journée la plus mémorable ?


Fraîchement nommé chef d’un service urbanisme d’une DDE (Direction Départementale de l’Équipement) en 95, j’ai commencé par refuser de signer mon tout premier parapheur : on m’a fait comprendre que mon prédécesseur aurait signé. J’ai demandé des explications sur le contenu, ça me paraissait bizarre… Là encore, on m’a répondu avec assurance que « les textes disent qu’il faut faire comme ça », alors j’ai demandé à voir les textes qui au final disaient le contraire ! Ce jour-là, j’ai compris que le droit n’était pas un ennemi, mais un bel outil, et que mieux valait savoir s’y retrouver par soi-même ! Au final, regardez bien le Code de l’urbanisme : tout est dit dès son 1er article (L101), c’est lui qui donne leur sens aux 500 pages de procédure qui suivent.


Quelle est la mission, la rencontre la plus insolite que vous avez pu réaliser ?


Il y a en eu pas mal… Celle qui m’a marqué c’est quand un exploitant agricole transformé en promoteur éolien, à qui l'État avait refusé un permis de construire pour 3 petites éoliennes, en avait conclu hâtivement que l’État était contre l’éolien… Il m’a demandé si je pouvais dès samedi après-midi, aller lui expliquer la fameuse charte départementale que mon service et moi venions d’élaborer dans une logique de projet et non dans une logique bureaucratique. Contre toute attente, j’ai répondu oui. Il m’attendait dans sa ferme avec sa famille au grand complet et ses avocats, comme dans une scène d’Astérix en Corse ! J’ai expliqué la démarche en langage projet et non en langage bureaucratique comme convenu. Ils étaient sciés. Deux ans plus tard, grâce à cette charte il s’est vu autoriser non pas 3 petites mais 15 grandes éoliennes. Mieux encore, le projet est devenu emblématique et a même eu gain de cause au tribunal administratif pour sa cohérence, grâce précisément à la démarche projet dont il était le fruit.


Quel est le projet que vous avez trouvé le plus stimulant ?


L’AUE se retrouve en posture de cadre, il ne travaille donc pas seul et doit associer tout un collectif à sa démarche de projet. Ce qui est stimulant, c’est de voir que la démarche projet peut, au-delà des mots et de la langue de bois, devenir une réalité, même si pour cela il faut consacrer les 2/3 de son temps à créer les conditions matérielles et psychologiques du projet. C’est usant certes, mais en ce sens la fin justifie les moyens.


Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer et comment les gérez-vous ? Quel enseignement en tirez-vous ?


La dernière décennie a été difficile, voire même traumatisante pour l’administration de l’État. La pire des difficultés reste la peur du changement, celle qui conduit à des replis sur soi, à des corporatismes, à des fonctionnements en silo, ce qui in fine paralyse l’action… C’est ce que l’astrophysicien Hubert Reeves appelle le P...FH (Putain de Facteur Humain), et qu’il nous appartient de transformer en PFH (Précieux Facteur Humain) au sens où le décrit le philosophe Patrick Viveret.


Figure 5 : L’AUE « urbanisme » peut représenter la DDT(M) au sein du Conseil d’Administration des Agences d’Urbanisme et des CAUE : une belle opportunité pour coopérer localement avec des pairs et développer les partenariats indispensables, chacun dans son rôle… (rencontres nationales des agences d’urbanisme à Brest en décembre 2020).


Quel enseignement en tirez-vous ?


Il y a 25 ans, je suis venu en pensant que je ne pourrais sûrement pas rester dans ce milieu administratif que je supposais immuable. En fait, la posture d’AUE permet d’accéder rapidement à un niveau de responsabilité qui donne une certaine latitude, qui permet en fait de créer son propre métier dans l’intérêt bien compris de l’État, de son administration et de soi-même. Dans cette période de transition plutôt brutale que nous vivons actuellement, je suis persuadé que l’État a besoin de nous pour se réinventer et contribuer à la résilience de nos territoires…


(*) Propos de François MARTIN


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