Etienne MARKT est ABF – adjoint au chef de l'UDAP (Unité Départementale de l'Architecture et du Patrimoine) des Alpes-Maritimes – Nice.
Entretien réalisé en décembre 2020.
Comment avez-vous découvert ce métier ?
En 2002, j’étais en poste comme directeur des services techniques de l’Observatoire de Nice, édifié par Charles Garnier et Gustave Eiffel de 1881 à 1887. L’ensemble des bâtiments étaient protégés au titre des monuments historiques. De nombreux travaux de restauration étaient à faire et nécessitaient un dialogue avec l’autorité compétente en la matière à l’époque : l’architecte des bâtiments de France.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Dans ma vie professionnelle, les projets qui me passionnaient concernaient le bâti ancien, les monuments historiques. J’avais de très bons échanges avec l’UDAP sur ces opérations et cela contribuait à l’enrichissement de mes projets. Quand l’opportunité s’est présentée de devenir ABF, je n’ai pas hésité.
Pourquoi vous sentez-vous utile ?
Le simple fait de remplir une mission de service public me fait me sentir utile. Tous les jours, je réponds à des questions concernant le bâti ancien, les monuments historiques, l’architecture, l’urbanisme et le paysage. Le simple fait d’être en mesure de répondre aux demandeurs apporte une satisfaction et permet de se sentir utile. Quand en plus la personne en face vous remercie pour votre aide, c’est très extrêmement encourageant.
En quoi votre expérience antérieure vous a conduit à ce poste et en quoi a-t-elle enrichi votre métier aujourd’hui ?
Architecte salarié, directeur de services techniques, architecte à mon compte, directeur du patrimoine d’une université sont autant de métiers différents qui m’ont permis d’appréhender le rôle du maître d’ouvrage autant que celui du maître d’œuvre. Ayant travaillé sur le bâti ancien avec passion, dans le cadre d’un véritable échange avec l’ABF, j’ai naturellement eu envie d’aller vers ce métier qui fédérait beaucoup d’aspects les plus intéressants de mes anciennes fonctions.
Comment définiriez-vous votre rôle d’ABF spécifiquement dans votre territoire ?
Un conseiller. Une oreille attentive. Je suis à l’écoute des élus, des pétitionnaires, des confrères architectes, des paysagistes-concepteurs, de l’ensemble des acteurs qui interviennent sur le paysage, l’urbanisme et l’architecture. J’essaie de leur apporter les meilleurs conseils pour mener leurs projets à bien, en ne perdant jamais de vue l’objectif de préservation du bâti patrimonial et du paysage.
Quelle est la mission qui vous tient le plus à cœur ?
La pédagogie. On est au cœur du rapport humain indispensable à la pratique de notre métier. Il faut arriver à sensibiliser un pétitionnaire ou un architecte à la préservation du patrimoine. Cela ne se fait pas à coup d’avis défavorables. La réalisation d’une documentation claire et simple est essentielle, mais il faudra toujours une phase de dialogue pour atteindre l’objectif.
Est-ce que vous avez découvert une mission lors de la prise de poste que vous ne soupçonniez pas et que vous appréciez plus particulièrement ?
J’ai constaté que l’ABF peut jouer un rôle prépondérant dans l’élaboration des documents d’urbanisme. Depuis le Porter à Connaissance (PAC) jusqu’à l’arrêt. Le document d’urbanisme est l’occasion de définir collégialement des principes et des règles partagées par tous. Il peut énormément simplifier le rôle de l’ABF quand il est bien élaboré. Je n’aurais jamais pensé que cette démarche, très cadrée administrativement, puisse m’intéresser autant.
Quel est (ou sont), pour vous, le (ou les) point(s) fort(s) du métier ?
La diversité et la richesse des sujets abordés. On aborde un large spectre de projets ce qui ne laisse pas le temps de s’ennuyer.
Quelle a été votre journée la plus mémorable ?
Du positif, il y en a tous les jours. Je retiendrais donc la situation la plus désagréable. Lors d’une réunion avec le maire d’un village et son équipe afin de discuter d’un projet de transformation d’une chapelle romane à l’état de ruines en une salle municipale, pour lequel j’avais émis un avis très défavorable, j’ai été littéralement agressé verbalement par l’élu qui n’a pas daigné me laisser parler. Je n’ai pas eu d’autre choix que de quitter la réunion au bout de quelques minutes seulement, en l’absence de dialogue : échec total.
Quelle est la visite la plus insolite que vous avez pu réaliser ?
La villa de l’impératrice Eugénie sur le Cap-Martin. Arrivée sous la pluie. C'est le majordome qui ouvre la porte de la voiture et nous abrite sous son parapluie. Nous retrouvons la propriétaire dans son salon pour boire le thé, avec une vue magnifiquement cadrée sur le rocher monégasque. Elle nous fait partager sa passion pour Eugénie et son architecte Hans Georg Tersling. Au cours de cette brève visite, elle nous montre une toile gigantesque qui représente l’impératrice et ses dames de compagnie. Le tableau vaut plusieurs dizaines de milliers d'euros et le cadre est légèrement gauchi !
Figure 1 : Villa Cyrnos construite par Hans-Georg Tersling, en 1892 - Cap Martin. Source : L'illustration, 17 mars 1894.
Quel est le projet que vous avez trouvé le plus stimulant ?
La réhabilitation d’une maison dans un village de montagne. L’architecte en charge du projet avait prévu la démolition complète de la charpente, la création d’un chaînage en béton armé et la pose d’une nouvelle charpente type « chalet suisse ». Après de longs échanges avec le maître d’ouvrage, nous l’avons convaincu de conserver totalement la charpente typiquement locale et revoir son projet pour sauvegarder l’authenticité de ce bâtiment patrimonial et ne pas l’aseptiser. Un gros travail d’équipe avec le service archéologique et beaucoup de pédagogie.
Figure 2 : Grange à Valdebore. Travail de croquis pour sensibiliser à la qualité de la charpente (photographie et dessins, Étienne Markt).
Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer et comment les gérez-vous ? Quel enseignement en tirez-vous ?
La charge de travail est conséquente et les sujets extrêmement variés. On peut passer d’un projet de restauration d’une belle villa Belle Époque pour quelques dizaines de millions d’euros à l’aménagement de locaux poubelles pour une commune dans la même journée. Il faut donc être bien organisé et hiérarchiser les dossiers. Certains méritent des heures de travail et d’autres peuvent être traités en quelques minutes. Tous ne demandent pas le même niveau d’investissement. Il faut également rester sur un principe de réalité : il est absurde de faire un avis avec une page de prescriptions si l’on sait que le pétitionnaire n’en tiendra pas compte. Il faudra le convaincre du bien-fondé de la démarche en amont du dépôt de son autorisation, ou pendant la période d’instruction.
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