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Emmanuel ÉTIENNE, pourquoi AUE ?

Emmanuel ÉTIENNE est sous-directeur des monuments historiques et des espaces protégés – Ministère de la Culture – Paris.

Entretien réalisé en novembre 2020.



Comment avez-vous découvert ce métier ?


Je me suis intéressé très tôt aux sujets qu'un Architecte et Urbaniste de l’État (AUE) peut traiter. Pourtant je n'ai fait la connexion entre cette matière et le corps des Architectes Urbanistes de l’État qu'assez tard, en discutant avec certains camarades de l'école de Chaillot qui souhaitaient s'inscrire au concours.

Ce qui montre que, comme sans doute beaucoup d'autres, je n'ai pas été suffisamment bien informé s'agissant des concours et des possibilités de carrière : j'étais potentiellement un candidat mais personne ne m'a jamais suggéré de passer le concours d'AUE.


Pourquoi avoir choisi ce métier ?


Je m'intéresse à l’architecture et au patrimoine, en particulier aux monuments historiques, depuis ma petite enfance, notamment pour des raisons familiales. Ma grand-mère, professeure d'histoire et membre d’une association patrimoniale, m'emmenait souvent voir des monuments historiques. Elle habitait Gaillon avec mon grand-père, et nous allions souvent visiter le château durant mon enfance. J’étais fasciné par ce qu’il avait été, et par ce qu’il pouvait redevenir, grâce aux services chargés des monuments historiques.


Figure 1 : Dessin du château de Gaillon (Eure), dans son état XVIe siècle. L’un des tous premiers châteaux de la Renaissance en France, il a été transformé en prison au XIXe siècle et très altéré. Monument historique classé appartenant à l’État (ministère de la Culture), le château de Gaillon relève directement de la DRAC et de l’ABF : il fait l’objet de travaux réguliers d’entretien et de restauration depuis près de 40 ans.


J'ai également toujours été sensible à la question des espaces publics et, au-delà des aménagements urbains. Tout petit, j'étais passionné par les travaux d'aménagement, de voirie, d'espaces publics, de places, de rues. J'aimais les chantiers et les travaux.

Par contre, je n'avais pas tout de suite identifié le métier d’architecte comme une vocation. Je m'imaginais plutôt faire des études de type science-po pour m'engager dans des métiers publics. Ce sont mes parents qui m'ont encouragé à faire des études d’architecture.

Je suis arrivé, aujourd'hui, à un objectif qui n'est finalement pas très éloigné de ce que je souhaitais pouvoir faire enfant, à savoir : travailler et avoir une action publique, dans les domaines du patrimoine et de l'architecture.


Pourquoi vous sentez-vous utile ?


Être Architecte et Urbaniste de l'État, que ce soit en étant Architecte des Bâtiments de France, en établissement public ou en administration centrale, c'est prendre des décisions et conduire des politiques, qui ont des effets concrets. Quand mes fonctions m'ont conduit à décider, par exemple, de financer tel ou tel projet, quand je contribue à faire émerger ou évoluer tel ou tel projet, il m'est apparu assez vite, après être allé sur place, quelques mois, quelques années plus tard, de constater que les choix faits et les politiques portées se traduisaient très concrètement : par des aménagements, par des travaux, par des transformations physiques, matérielles, de bâtiments, d'espaces publics, de parcs, de jardins, de quartiers. L'AUE intervient, en tant qu'acteur public, à un autre moment du processus de transformation de la ville et de l'architecture et a, de ce point de vue, une réelle influence sur la transformation de notre environnement, de notre cadre de vie. Sans doute plus qu'un architecte salarié dans une agence.


Comment définiriez-vous les spécificités de votre rôle d’AUE ?


Aujourd'hui, j'exerce mes fonctions en administration centrale. J'exerce un métier qui n'est pas, à proprement parler, un métier d'architecte ou d'urbaniste, mais un métier de responsable publique, de « haut fonctionnaire ». J'occupe un poste qui pourrait être exercé par quelqu'un qui n'est pas Architecte et Urbaniste de l'État, et qui traite de questions de ressources humaines, de questions budgétaires et juridiques, etc. Pourtant la matière sur laquelle je travaille consiste toujours à porter et mettre en œuvre les politiques liées au patrimoine, à l'architecture, à l'urbanisme et à l’environnement.


Quelle est la mission qui vous tient le plus à cœur ?


Quel que soit le ministère, le service d'affectation, un AUE s'occupe de grands sites protégés pour leur caractère exceptionnel, sur le plan environnemental ou sur le plan patrimonial, et qui pour certains relèvent du patrimoine mondial. Nous sommes confrontés à ce que notre société, notre civilisation a produit de plus beau et nous contribuons à préserver, voire à embellir, ces éléments absolument remarquables de notre patrimoine culturel et environnemental.

Nous sommes aussi confrontés au plus modeste et à une autre dimension qui est toute aussi importante : au « tout petit patrimoine » et au « tout petit projet ». Comme nous avons la réelle chance d'agir pour l’État, en tant qu’acteur public, nous pouvons nous investir en faveur d’éléments, de projets qui peuvent sembler très modestes mais dont la somme contribue également à la qualité du cadre de vie de notre environnement.

Nos missions d'AUE nous donnent la possibilité de passer énormément de temps à accompagner la restauration, la mise en valeur d'un petit immeuble de logements : parce qu'il est insalubre, parce qu'il nous semble particulièrement stratégique, ou simplement parce qu'il n'y a personne d'autre pour s'en occuper, dans des territoires qui sont déshérités. J'ai été en poste dans des territoires très ruraux : le nombre d'architectes, a fortiori d'architectes spécialistes du patrimoine était très faible. Donc, j'avais ce devoir d'accompagner, avec la direction départementale de l’Équipement (DDE), avec le conseil en architecture en urbanisme et en environnement (CAUE), des toutes petites communes, sur des projets très modestes, parfois, mais très importants pour les porteurs de projet.


Figure 2 : Pigeonnier couvert de tuiles vernissées à Bouzeron (Saône-et-Loire), dans le vignoble de la côte chalonnaise. Ce pigeonnier, en cours de restauration sur la photo, n’est pas protégé au titre des monuments historiques mais il est en site inscrit. Il correspond ce qu’on appelle le « petit patrimoine » (photographie Emmanuel Étienne).


C'est aussi ça l'intérêt : être AUE permet de changer beaucoup de postures, de postes et de points de vue. Nous travaillons à la fois sur l'infiniment grand et l'infiniment petit. Nous pouvons travailler, lors de la même journée, sur une cathédrale, sur un grand site de France et sur un tout petit immeuble ou un micro-projet de jardin, si nous considérons que ça a du sens de le faire et que nous sommes bien dans une logique de service public. Du plus modeste au plus exceptionnel en quelque sorte.


Est-ce que vous avez découvert une mission lors de la prise de poste que vous ne soupçonniez pas ?


Être Architecte et Urbaniste de l'État, c'est être un acteur public et il faut pouvoir endosser ce rôle. Il y a une dimension de représentation très importante : nous devons incarner une fonction, pour représenter un ministère et une politique publique. Nous ne sommes pas juste là en qualité d'expert ou de sachant. C'est peut-être cela qui m'a le plus surpris au début.


… et que vous appréciez plus particulièrement ?


En tant qu'AUE, nous pouvons devenir responsable de grands monuments, y compris ceux qui relèvent des grandes institutions du pays, de l’État. Nous pouvons ainsi nous retrouver à avoir les clefs d'un vaste monument et à visiter des espaces particulièrement beaux, d'une part, particulièrement poétiques, particulièrement inaccessibles, d'autre part. Nous nous trouvons parfois dans les coulisses extraordinaires d'espaces auxquels on n'a usuellement pas accès, lorsque l'on n'est pas dans ces fonctions.

J'ai eu, par exemple, l’opportunité de visiter de nuit le château de Rochechouart, monument historique classé et musée d’art contemporain de la Haute-Vienne, ayant eu la chance d’y être invité par son directeur et conservateur. Propriété du conseil départemental, ce château-musée est un bel exemple, je trouve, d’alliance entre l’art contemporain et un monument historique.


Figure 3 : photo de nuit du château de Rochechouart (Haute-Vienne), monument historique classé, musée d’art contemporain de la Haute-Vienne. Propriété du conseil départemental, 87, (photographie Emmanuel Étienne).


Quel(s) est (ou sont), pour vous, le (ou les) point(s) fort(s) du métier ?


Un des intérêts des métiers d'AUE est de pouvoir changer de fonction et de territoire de manière assez spectaculaire, sans changer de corps ou de statut. J'ai ainsi travaillé dans plusieurs départements de France, depuis le début de ma carrière.

Cela permet également de changer de point de vue : être maître d'ouvrage, ou être dans un service déconcentré, avec un rôle de contrôle ou d'accompagnement opérationnel des projets, et être en administration centrale, voire en cabinet ministériel. In fine, en tous cas en ce qui me concerne, pour toujours s'occuper de sujets liés à l'architecture et au patrimoine.


Figure 4 : Cette photo du pont transbordeur de Rochefort illustre littéralement les liens entre les différentes missions et politiques que peuvent porter le corps interministériel des Architectes et Urbanistes de l’État. Ce pont a pendant longtemps été géré par les services de l’Équipement, quand son usage principal était encore d'être un ouvrage d'infrastructure. Aujourd'hui il est classé au titre des monuments historiques et il est géré par le ministère de la Culture. Mais il intéresse également le ministère de la Transition écologique, puisqu'il se situe au-dessus de l'estuaire de la Charente, dans un site Natura 2000 aux enjeux environnementaux importants.


Quelle a été votre journée la plus mémorable ?


L'incendie de Notre-Dame de Paris, qui a eu lieu dans la soirée du 15 avril 2019, a été un événement particulièrement dramatique. Le lendemain matin, tous les responsables du chantier étaient retenus, soit par les autorités judiciaires et les autorités de police, qui commençaient l'enquête, soit par les autorités politiques, soit par les journalistes qui demandaient des informations. Nous avons dû affronter une situation où les principaux responsables du chantier étaient complètement submergés, et où il a fallu être présent, donner un coup de main. Je n'avais jamais travaillé sur Notre-Dame de Paris avant l'incendie. Ça, c'était un moment particulièrement lourd.


Figure 5 : Notre-Dame le 15 April 2019 (photographie Julie Benoit).


Quelle est la visite la plus insolite que vous avez pu réaliser ?


La visite de la cathédrale Notre-Dame de Paris le mardi 16 avril 2019 au matin, alors que l’incendie était à peine maîtrisé mais par encore éteint, fut un moment particulièrement émouvant.


Quel est le projet que vous avez trouvé le plus stimulant ?


Contribuer à la « fabrique de l'architecture » en travaillant aux contenus législatifs a été étonnamment stimulant : j'ai eu l'occasion, en étant en administration centrale, d'accompagner des projets de loi. Et j'ai ainsi été en situation de suivre le fonctionnement de la République et de ses institutions au plus près, puisque j'ai été amené à aller à Matignon, au Conseil d’État, à l'Assemblée Nationale, au Sénat, à l’Élysée.

Je n'avais pourtant pas imaginé, en étant Architecte et Urbaniste de l'État, être un jour dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale et du palais Bourbon, derrière un ministre pour préparer des éléments de réponses à des questions de parlementaires dans le cadre d'un débat sur un projet de loi. Je pense, par exemple, au projet de loi consacré, à la « liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine » (loi LCAP).


Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer et comment les gérez-vous ?


Le plus difficile a été de gérer certaines relations humaines un peu compliquées, dans les services ou en dehors. J’ai eu parfois des difficultés avec certains porteurs de projet, comme tous les Architectes et Urbanistes de l’État. Mais les plus grandes difficultés que j'ai pu rencontrer dans ma vie professionnelle ont souvent été liées à des sujets de ressources humaines : soit en raison du manque de moyens humains, soit en raison de conflits entre les personnes, les deux sujets pouvant être liés.


Quel enseignement en tirez-vous ?


Le facteur humain dans les relations de travail est déterminant. Il est important que les AUE y soient sensibilisés pendant leur formation, puis pendant toute leur carrière.



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