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Agnès BLONDIN, pourquoi AUE ?

Agnès BLONDIN est AUE, ABF – cheffe de service de l'UDAP du Bas-Rhin (67) – Strasbourg.

Entretien réalisé en février 2021.



Comment avez-vous découvert ce métier ?


Mon patron avait de nombreux liens avec la Direction régionale des affaires culturelles, émanation du ministère de la Culture en région : les conservateurs des monuments historiques comme les Architectes des Bâtiments de France. Au cours de cette expérience en agence, j’ai donc pu côtoyer de près cette institution, notamment pour les projets portant sur des édifices protégés au titre des monuments historiques.


En parallèle de mon travail en agence, j'ai eu l'opportunité de faire le DSA (Diplôme de Spécialisation et d'Approfondissement) mention architecture et patrimoine à l'école de Chaillot. Le DSA m’a donné l'occasion de rencontrer des ABF et d'entrevoir leurs missions. Aujourd’hui, je dis « entrevoir » ce métier, parce qu'entre les aspects entrevus et la réalité, il y a un fossé !


J'ai trouvé les missions des ABF très intéressantes, notamment grâce au facteur de changement d'échelle qui permet de s’impliquer dans des outils de planification. Être ABF permet de marier une vision territoriale avec une dimension patrimoniale. J'avais le sentiment qu'il s'agissait d'une posture que je n'aurais jamais en restant architecte libérale. Même si, à l'époque, je n'avais pas réellement idée du champ que cela pouvait recouvrir.


À partir de mai 2014, j'ai d'abord été contractuelle en Meurthe-et-Moselle en STAP (Service Territorial de l'Architecture et de Patrimoine au sein de la DRAC Lorraine, aujourd’hui dénommé UDAP – Unité départementale de l’architecture et du patrimoine) avant de passer le concours d’architecte et urbaniste de l’État. J'avoue avoir eu envie de tester la position d’ABF avant de m'engager fermement : voir si vraiment cela allait me plaire. J'ai été plongée dans le grand bain assez vite, j'ai appris à nager ! Gaëlle Perraudin (adjointe assurant l’intérim de cheffe de service) a initié ma formation en me demandant de l'accompagner pendant 15 jours. Puis elle est partie dans une autre UDAP et je suis restée. J'ai pris en charge le secteur nord du département. Je ne m'en rendais pas compte à l'époque, mais j'ai vraiment rempli toutes les missions qu'une adjointe peut exercer. Cela m'a permis de me conforter dans la vision territoriale, dans le travail en équipe, et avec les autres membres des services de l'État. Cette expérience m'a plu et a confirmé mon envie de passer le concours.


Après l'année de formation, j’ai pris mon premier poste dans les Ardennes, au sein de la DRAC Grand Est, en tant que cheffe de service. Aujourd'hui j’occupe le même poste dans le Bas-Rhin.


Pourquoi avoir choisi ce métier ?


Il n'y a pas vraiment eu d'élément déclencheur, c'était un peu le fait de toucher à tout, tous les jours. Il y avait également une très belle ambiance d'équipe à l'UDAP, les agents étaient très soudés entre eux. Il s'agit également d'un point positif des UDAP. Je trouve, par mon expérience, que l'esprit d'équipe est plus fort en UDAP qu'en agence d'architecture.


Pourquoi vous sentez-vous utile ? Quelle plus-value pensez-vous apporter en tant qu'architecte au sein de l’État ?


Nous sommes peu nombreux à être architectes au sein de l'État et notre capacité à porter une vision à long terme me donne un vrai sentiment d’utilité. Du fait de notre formation, nous avons sans doute plus que les autres une facilité pour planifier un projet et des successions de tâches. Que ce soit sur un projet de restauration ou sur une conduite de projet administratif, en réalité, ce sont toujours les mêmes systèmes qui se mettent en place.


Nous avons également une capacité de mise en relation, de création de dialogue car nous avons accès à différentes échelles. Par exemple, un des adjoints de l’UDAP s'est rendu compte que beaucoup de projets lui étaient confiés sur un même territoire, mais qu’ils ne dialoguaient pas entre eux. Il a donc établi ce dialogue et instauré une mise en relation pour apporter une vision cohérente.


Un autre rôle que j'apprécie personnellement, c’est notre mission de service public. Nous sommes présents au titre du conseil. Nous avons cette vocation de mettre notre savoir-faire gratuitement au service des demandeurs, sans empiéter bien sûr sur les missions de nos confrères, il est hors de question de faire le projet. J'aime que notre métier nous permette de mettre nos connaissances au service du territoire, de manière complètement désintéressée. Nous ne gagnons rien en retour, je trouve ça confortable, cela nous donne une grande liberté.


En quoi votre expérience antérieure vous a conduit à ce poste et en quoi a-t-elle enrichi votre métier aujourd’hui ?


Quand je travaillais en agence d’architecture, nous avions toujours le souci de travailler les aspects économiques. Nous travaillions sur un territoire assez sinistré, avec peu de moyens. En tant qu'agent de l'État, nous avons aussi un rôle dans la bonne utilisation de l'argent public. Mon expérience antérieure m'a beaucoup servi dans les Ardennes quand il a fallu faire le bilan quinquennal et dresser les états sanitaires des Monuments Historiques. Dans ce département, la mission avait été confiée à l'UDAP, dont j’étais cheffe de service, et non à la Conservation Régionale des Monuments Historiques (CRMH) comme c’est parfois le cas dans d’autres régions. Avec tous les agents techniques de l’équipe, nous nous sommes appliqués à donner des conseils opérationnels aux propriétaires de chaque monument historique. Nous voulions leur montrer qu'avec des travaux d'entretien courant, ils étaient à même de faire perdurer leurs monuments. Sur des territoires avec assez peu de moyens, il est plus cohérent d'être sur de l'entretien régulier que sur des opérations de restauration conséquentes. De ce côté-là, j'ai vraiment senti l'utilité de mon expérience précédente.


Mon expérience dans la maîtrise d'œuvre me sert également pour les rendez-vous techniques. Par exemple, j'ai eu récemment un projet au cours duquel se sont posées plusieurs questions et choix techniques pour la réfection d'une couverture en ardoise, qui ont pu être résolus. Je trouve ça vraiment confortable d'avoir travaillé en agence, d'avoir une connaissance des chaînes de décisions. De mon point de vue, cette expérience est indispensable pour faire le métier d’ABF.


Figure 1 : croquis de couvertures en ardoise (à gauche : monuments historique et à droite : ardoise moderne), dessin : V. Gailly-Viennot, source : Techniques de l'architecture ancienne : construction et restauration, Yves-Marie Froidevaux, éditions Mardaga.


Quel(s) est (ou sont), pour vous, le (ou les) point(s) fort(s) du métier ?


J'apprécie particulièrement le côté foisonnant de notre métier et la pluralité de ses missions.


Nous pouvons travailler le matin sur une série de demandes de particuliers, d’échelle propre réduite mais influençant chacune à sa mesure le cadre de vie et suivre l’après-midi des documents de planification majeurs tels que les Plans de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) associant enjeux patrimoniaux, d’habitabilité, d’économie, mais également de développement durable.


Nos interlocuteurs sont également très variés : services de l’État, architectes, promoteurs, associations patrimoniales et particuliers. Cette pluralité nous oblige à adapter en permanence notre communication.


Pour parler d'un point fort particulier, certaines UDAP, comme l’UDAP du Bas-Rhin, nous permettent d’être conservateur de cathédrale. Je trouve ce rôle très important et très intéressant, même s'il s'agit d'une mission complexe. Je ressens comme une chance de veiller sur un patrimoine exceptionnel, d'œuvrer le plus humblement pour sa préservation dans le temps.


Il y a presque quelque chose de magique : quand j’ai découvert la cathédrale, je devais avoir 15 ou 16 ans. J’étais très loin d'imaginer que je serai un jour AUE. À l’époque, j'avais été littéralement émerveillée en pénétrant à l'intérieur. Aujourd'hui, j'en suis nominativement la conservatrice et j’assure cette mission.


Figure 2 : la cathédrale de Strasbourg avec le drapeau français au sommet de la flèche, photographie : Agnès Blondin.


Pour des raisons techniques et pour répondre aux exigences de la mission, je suis amenée à la parcourir régulièrement. Même si le but n’est que de vérifier des installations électriques, avoir la chance de monter dans l'octogone reste un bonheur.


Cette mission est parfois écrasante. C'est presque une aberration pour moi de voir la taille du monument et de savoir qu'un petit être humain est responsable de la conservation de cet édifice. C’est une mission à mener en partenariat, avec nos collègues DRAC de la CRMH et État et avec tous ceux qui vivent la cathédrale au quotidien, à Strasbourg, la Fabrique de la Cathédrale et l'Œuvre Notre-Dame. Nous sommes là pour représenter l'État, certes, mais les choses ne peuvent pas se faire seuls. Il faut être très humble.


J'ai pu vivre un moment privilégié pendant le confinement. La Cathédrale de Strasbourg a une tradition particulière : la commémoration du serment de Koufra. Elle rappelle que, pendant la Seconde guerre mondiale, après avoir enlevé l’oasis de Koufra aux Italiens, le général Leclerc s'était engagé à ne pas déposer les armes avant que le drapeau français ne flotte en haut de la cathédrale de Strasbourg. En mémoire de ce serment de Koufra, un drapeau est monté tous les ans, en mars. En 2020, à cause du confinement, la commémoration de l’armistice de la Seconde Guerre mondiale a été très restreinte. Le gouverneur militaire de Strasbourg a proposé de faire mettre en place le drapeau pour le 8 mai, pour la commémoration de l'Armistice. J'ai eu la chance d'accompagner les ouvriers de la Fondation de l'Œuvre Notre-Dame pour la mise en place du drapeau. C'était un moment assez exceptionnel. La ville était silencieuse. En cette période particulière, cela a fait plaisir à beaucoup de concitoyens de voir le drapeau flotter.


Est-ce que vous avez découvert une mission lors de la prise de poste que vous ne soupçonniez pas et que vous appréciez plus particulièrement ?


Il y en a plusieurs, effectivement, par exemple je n'imaginais pas l'ampleur du conseil que nous pouvons apporter. Nous sommes associés à de nombreux projets. Nous n'avons plus de maîtrise d'œuvre à proprement parler, mais nous influençons beaucoup de dossiers. Je ne m’attendais pas à cela.


Une autre mission que j'ai découverte est le rapport au paysage que certains projets de territoire nous permettent d’avoir. Bien sûr, par exemple dans le cas d’avis rendus sur les projets éoliens, les avis émis se placent dans le cadre du conseil apporté auprès du préfet, ils s’inscrivent dans l’ensemble des avis que rendent les services de l’État. Dans les Ardennes, par exemple, ce suivi des dossiers éoliens prenait énormément de place au sein des missions du service.


Quelle a été votre journée la plus mémorable ?


J'ai eu un moment où tout s'est accumulé : je prenais le train pour partir à Paris pour la présentation de la révision du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur de Sedan en commission nationale. J'étais dans le TGV, je préparais mon intervention du lendemain, tout allait bien et je reçois un texto d'une amie qui me dit qu'un immeuble vient de s'effondrer à Charleville-Mézières, dans le Site Patrimonial Remarquable. L'origine de l'effondrement était due à un chantier en cours dans une dent creuse attenante.


Je me revois encore, le matin, en commission nationale, dans un cadre assez solennel, et à l'issue de la réunion, j'ai couru dans le train pour aller voir sur place avec la police, la préfecture, le maire, pour les conseiller au mieux sur la manière de sécuriser le site. Le préfet m'avait en effet demandé d'être là et j’ai dû apporter mon expertise sur une situation d’urgence. La stabilité de la structure l’imposait : les chaînes d'angle avaient disparu, les murs étaient déstabilisés car ils n'étaient plus liaisonnés.


Au-delà de ce rôle, j’ai dû appuyer la décision des autorités de fermer une rue commerçante pour stopper l'accès aux commerces le temps de réaliser les confortements nécessaires.


Figure 3 : discussion sur site entre le Préfet, le maire de Charleville, la police, le SDIS et Agnès Blondin suite à l'effondrement de l'immeuble rue Bourbon à Charleville-Mézières. (source https://www.facebook.com, compte du Préfet des Ardennes - crédit photo : préfecture des Ardennes).


Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer et comment les gérez-vous ? Quel enseignement en tirez-vous ?


Une difficulté que je peux ressentir, mais qui n'en est pas une à proprement parler, c’est la nécessité d'être en permanence dans le dialogue et disponible.


En tant qu’ABF, la réelle difficulté est le nombre extrêmement important de sollicitations que nous recevons. Nous avons une charge de travail très conséquente, particulièrement dans le Bas-Rhin, où nous avons signé 12 000 avis pour 4 ABF en 2020. Cela contraint à donner une grande importance à la question de la priorisation : qu'est-ce que je dois faire passer devant ? Sachant que chaque acteur du territoire considère son projet comme majeur et veut avoir une réponse le plus rapidement possible.


De ce point de vue, le travail en équipe est très important : nous ne sommes pas seuls, nous sommes entourés de notre équipe. Lorsque les questions comportent des enjeux de taille et simultanés, il est important d'avoir la capacité de déléguer.


Que souhaiteriez-vous dire à une personne qui hésite à passer le concours d'AUE ?


Si elle se sent étriquée dans son métier, dans le fait de répondre à des projets avec des échelles de territoire assez contraintes et si elle se sent frustrée parfois de ne pas pouvoir aller au-delà des missions qui lui sont confiées, parce que par exemple le programme n'est pas forcément adapté, s'il lui est demandé de faire rentrer des ronds dans des carrés, etc., je lui conseillerais de devenir AUE. Le poste d'ABF (AUE en UDAP) est vraiment le bon positionnement pour être capable d'influencer des choix, d'influencer la programmation et surtout de porter conseil pour travailler à l'amélioration du cadre de vie.


L'aspect développement durable et écologique est également très présent, il ne faut pas oublier que les AUE ont une double tutelle ministérielle et que beaucoup de questions écologiques sont abordées par le patrimoine. Ce sont simplement des questions de bon sens selon moi, de dialogue avec l'environnement et de prise en compte du contexte dans lequel le projet s'insère.


De la même manière, si la personne a la sensation de faire des projets qui ne sont pas en cohérence avec l'environnement et quelquefois parfois des non-sens en termes de réflexion globale, les AUE ont aussi cette capacité d'influencer le projet. Par exemple, pour que l'implantation du bâti soit meilleure et que la prise en compte l'environnement soit bien intégrée dans le projet. Les AUE apportent cette réflexion de long terme, pour une architecture qui sera transmise aux générations futures. C’est particulièrement marqué dans nos missions quotidiennes, impliquant des villes qui ont déjà traversé des siècles d’histoire et dont l’héritage témoigne de la prise en compte de ces enjeux.


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